Un réveil naturel en douceur : cette sensation d'être vivant
est sans doute la mieux partagée au monde, y compris par nos amies les bêtes.
Puis viennent d'éventuelles pensées ou douleurs récalcitrantes en même temps que
les premiers stimuli externes. Le plus souvent, c’est en ouvrant les yeux que notre
humanité s'éveille vraiment : nous sommes différenciés, une sorte de
décohérence. A nous de comprendre comment nous pouvons l’être autant et si naturellement.
Nous sommes un peu plus de sept milliards, et plusieurs autres
pour tous les êtres vivants de la planète sans compter amibes, microbes, virus
et autres bizarreries et nos précieux auxiliaires végétaux. Tous reliés de mille
façons très variées, parfois invisibles ou inconnues, partageant une planète au
comportement souvent imprévisible comme le ballet cosmique dans lequel elle
nous entraine. Un ensemble d’une complexité quasiment chaotique, voire
quantique, qui ferait presque peur et donne la part belle aux prédicateurs
simplificateurs d’une redoutable efficacité.
Il faut dire que l'évolution
de toutes nos cultures n’est, en très grande partie, qu’une longue accumulation
de simplifications, d’approximations, d’habitudes, de règles « simples »
dont le résultat n’est ni simple ni cohérent. Le gros inconvénient des règles « simples »
est qu’elles sont locales dans l’espace et le temps. Seule la méthode scientifique
permet de s’affranchir à peu près de la localité, au moins dans notre coin
d’espace-temps. Pour le reste, il existe bien des structures plus ou moins organisées
mais c’est bien souvent la loi du plus fort qui prévaut.
Nous voilà dans une société d’une complexité sans précédents
bien que sans commune mesure avec celle que nous découvrons du monde qui nous
entoure. Ainsi, depuis quelques décennies, et dans presque tous les domaines,
il semblerait que nos théoriciens soient un peu en panne pour l’appréhender efficacement.
Heureusement, il nous reste l'observation, l’expérimentation, l’analyse statistique,
la simulation informatique, le libre partage de l’information, notre
imagination et notre intelligence (si, si). Mais, quand on constate les limites
des météorologues pourtant dotés d’ordinateurs parmi les plus performants ou les
trajectoires non annoncées (ou seulement quelques jours avant) d'astéroïdes
s’aventurant dans notre proche banlieue, on ne peut qu’être un peu inquiet. D’autant
que beaucoup préfèrent se raccrocher aux bonnes vieilles règles qui ont trop
souvent été à l’origine des conflits de notre histoire.
Tout ce bordel est le résultat des élucubrations de notre magnifique
petit cerveau de mille cinq cents centimètres cube. Donnez-lui un fonctionnement
globalement convenable, le temps et le nombre, et voilà. La vie sur terre est
sûrement le système le plus complexe de l’univers connu et l’homme sa forme actuellement
la plus aboutie avec son fantastique cerveau soutenu par un remarquable corps
multifonctions dans un biotope favorable. Il traite le flux constant d’informations
de tous ses sens et de sa mémoire et nous permet d’agir/réagir et aussi de
penser et même de nous construire un monde d’informations, d’innovations, et de
mobilités en croissance continue.
Dans cet ensemble ou, même à notre échelle, pas grand-chose
n’est stable à part quelques lois physiques bien trop élémentaires, il nous est
impossible de faire de sérieuses simulations ou prédictions de type météo. Nous
sommes dans un espace de statistiques et de probabilités sur les bases de notre
histoire et de nos expérimentations. Dans cet espace d’une complexité chaotique
toutes les trajectoires individuelles ne sont que des matérialisations de
possibles et toutes considérations spécifiques à certaines d’entre elles ne
sont que les résultats d’un point de vue fallacieux.
Cette complexité chaotique offre
un fantastique espace de jeu pour nos imaginations avides de territoires
fertiles. Et depuis des temps indéterminés nous inventons des histoires pour
tous les usages. Expliquer, justifier, convaincre mais aussi mentir, tromper,
profiter ou encore amuser, divertir, déranger. Des plus insignifiantes aux plus
toxiques en passant par les plus rationnelles et les plus délirantes, nous
écoutons, racontons, nous racontons, ces histoires sans même trop y penser. Chacun
construit une sorte de bulle agrégeant, à sa façon, une partie de cette
multitude rencontrée au hasard de sa vie, la modifiant, l’enrichissant au fil
du temps. Constituant avec son identité physique, biologique, génétique et
psychologique son identité humaine.
Un an plus tard j’ai déjà envie de corriger mes pensées précédentes,
préciser, nuancer comme si je m’étais comme par miracle amélioré entre temps. Figer
le temps et l’espace est une tendance systémique essentielle, la mémoire. Tout
bouge sans cesse et toute compréhension est issue de comparaisons entre les mémoires
d’instants différents.
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